Par Dan Munshaw, Ville de Thunder Bay
Dan Munshaw est responsable de la gestion de l’approvisionnement pour la Ville de Thunder Bay; il est aussi un professionnel aguerri qui compte trente-cinq ans d’expérience dans le domaine, pour le gouvernement et dans les secteurs minier et manufacturier. À titre d’innovateur de Nourrir la santé, il utilise le pouvoir des politiques et de l’approvisionnement pour voir comment les dépenses en alimentation peuvent améliorer la qualité de vie de la région et son développement économique.
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Mon travail dans le secteur public m’a permis de voir que l’approvisionnement est encore fondé sur des outils tactiques dépassés, trop étroitement axés sur le prix. Même si l’évolution est lente, les gouvernements commencent à réaliser que des pratiques d’achat plus stratégiques dans le secteur public peuvent créer de la valeur, au-delà des bas prix. On peut aussi créer de la valeur par le développement économique régional, la création d’emplois et l’innovation. De fait, les gouvernements peuvent accroître leur impact grâce à l’effet multiplicateur de l’économie. Sustain Ontario estime que chaque dollar consacré à l’achat d’aliments locaux peut avoir des retombées économiques jusqu’à 2,6 fois plus importantes. L’approvisionnement axé sur le caractère durable et l’impact social est aussi en plein essor, une cause défendue par l’expert canadien en matière de chaînes d’approvisionnement, Larry Berglund et la conseillère en approvisionnement social Sandra Hamilton.
Les gouvernements au Canada ont bien des occasions d’utiliser de manière stratégique l’effet de levier de l’achat local. Le nouvel accord du commerce équitable canadien, en vigueur à compter du 1er juillet 2017, prône l’ouverture, l’efficacité et la stabilité du marché intérieur au Canada. L’alimentation locale est considérée comme si importante que l’on y accorde explicitement à trois provinces – l’Alberta, l’île du Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick – le droit d’acheter des aliments locaux. Les autres provinces peuvent continuer d’acheter des aliments locaux en vertu du droit à soutenir le développement économique régional.
Mon cheminement et mon travail personnel dans la transformation de la chaîne d’approvisionnement alimentaire de la Ville de Thunder Bay – des dépenses annuelles de plus de 2 millions $ – afin de mieux l’aligner sur la Charte de l’alimentation de Thunder Bay m’ont été inspirés par une activité locale de réseautage éclair dans le domaine de l’alimentation[2] . Cela m’a fait réfléchir à mon ignorance en matière d’alimentation et à mon désir de faire passer la chaîne d’approvisionnement de la Ville du mode tactique au mode stratégique.
Au début, chaque fois que je voulais essayer quelque chose dans le domaine de l’alimentation, c’était apparemment impossible. J’ai donc commencé par une recherche factuelle, en consultant divers documents de politiques - Loi de l’Ontario sur les soins de longue durée, Lignes directrices du ministère de la Santé, accords commerciaux intérieurs et internationaux, jurisprudence en matière d’approvisionnement, pour en citer quelques-uns seulement. Armé de ces faits, j’ai appris que les lois fédérales, provinciales et locales, ainsi que les accords et les lois ne sont pas forcément un frein et qu’ils peuvent même soutenir à peu près n’importe quel projet que vous voulez réaliser. Les politiques et la culture d’entreprise, la stratégie relative aux fournisseurs, la formulation vague des contrats et la résistance au changement sont les véritables obstacles.
Un autre élément à la base de mon succès : écouter les intervenants clés pour saisir la diversité des besoins. Par exemple, alors que les résidents de longue durée et leur famille veulent des menus nutritifs et savoureux, les services alimentaires ont des contraintes budgétaires à respecter et les producteurs de la région veulent obtenir une garantie d’achat et contrôler la qualité de leurs produits.
Une recherche rigoureuse et une écoute attentive nous ont permis d’élaborer et d’adopter un outil d’approvisionnement emprunté au secteur des matières premières et de l’énergie, la couverture ou achat anticipé. Cet outil permet à l’acheteur et au fournisseur de conclure ensemble des contrats qui prévoient l’achat de produits donnés, pour une période future donnée, en une quantité donnée, à un prix et une qualité dont ils conviennent, en ajoutant toute autre disposition pertinente. L’utilisation stratégique de cet outil d’achat avec les producteurs a permis à la Ville de Thunder Bay de conclure avec des agriculteurs des achats anticipés de carottes, de pommes de terre, de tomates, de concombres, d’oignons et de courgettes. Nous continuons à explorer la possibilité de nouveaux contrats pour le veau, les fraises et les pleurotes, et nous poursuivons le remue-méninges avec les producteurs de la région en vue de créer et lancer un mur de cultures nourricières dans des établissements de soins de longue durée afin de combiner les loisirs thérapeutiques et la culture d’aliments sains à l’intérieur, toute l’année durant.
Les produits locaux représentaient 38 % des achats alimentaires en 2016 et c’est avec enthousiasme que nous cherchons des moyens d’aller plus loin. Les principaux facteurs de succès selon nous : créer des liens entre les gens; écouter; utiliser les outils d’achat de manière créative; éduquer le personnel des cuisines, le former et lui donner le temps de jouer avec des aliments locaux. Avec l’apport de Nourrir la santé, la Ville de Thunder Bay amorce également le projet pilote de renouveler et tester l’image des services alimentaires en concession dans un stade/aréna de la ville en vue d’offrir des aliments santé et des aliments traditionnels à l’automne 2017.
Dans le cadre de mon mandat en approvisionnement, j’ai appris que plusieurs établissements publics d’un bout à l’autre du pays font appel à des concessionnaires pour leurs services alimentaires. Le mandat de ces organismes à but lucratif consiste à maximiser le profit des actionnaires. Pour y arriver, ils doivent rationaliser leur fonctionnement et alléger leurs chaînes d’approvisionnement alimentaire afin de garder les coûts unitaires le plus bas possible. Leur devoir envers le client est avant tout d’ordre financier : ils offrent des services au prix défini par leurs obligations contractuelles.
À titre de propriétaires responsables, les organismes de santé et les organismes gouvernementaux ne doivent pas oublier qu’ils peuvent s’approprier leur chaîne d’approvisionnement et la contrôler en intégrant aux contrats des critères précis et mesurables que doivent refléter les services offerts par le contractant. À titre de propriétaires, ils doivent aussi contrôler et mesurer le rendement annuel, et exiger que les contractants respectent les dispositions du contrat, sans quoi toute tentative de leur part en vue de modifier sérieusement la chaîne d’approvisionnement alimentaire est vouée à l’échec.
Par exemple, si vous demandez :
- Pouvons-nous avoir plus d’aliments locaux/régionaux? Il suffit de préciser ce que vous voulez dans votre entente.
- Pouvons-nous avoir chaque année un rapport Velocity? Il suffit de préciser ce que vous voulez dans votre entente.
- Pouvons-nous avoir moins d’aliments transformés et plus d’aliments santé? Il suffit de préciser ce que vous voulez dans votre entente.
- Pouvons avoir plus d’aliments ethniques/traditionnels? Il suffit de préciser ce que vous voulez dans votre entente.
- Pouvons-nous avoir un meilleur salaire? Désolé, ça dépasse mes pouvoirs!
Les étapes vers le changement sont simples, contrairement au travail pour y arriver. Êtes-vous prêt et avez-vous la volonté de contrôler vos chaînes d’approvisionnement, de passer du mode tactique au mode stratégique et d’opter pour une chaîne d’approvisionnement durable? Alors, prenez le contrôle et agissez. Je vous mets au défi!