Aborder la prévalence de la malnutrition dans les hôpitaux canadiens

Dre Karen Cross a un cabinet fort occupé de chirurgie plastique et reconstructive à l’hôpital St. Michael de Toronto. Elle se spécialise dans la guérison complexe de tissus. Des patient.es viennent la voir lorsque leurs plaies ne guérissent pas. Certain.es sont diabétiques et souffrent de blessures chroniques aux pieds. D’autres ont subi des blessures traumatiques et éprouvent des difficultés à se remettre de leurs chirurgies.

Les patient.es de Dre Cross sont pour la plupart en « meilleure santé » que la population générale de l’hôpital, puisqu’elle effectue des interventions chirurgicales non urgentes et que ses patient.es ont le temps d’évaluer les risques et avantages possibles. Malgré ça, certain.es étaient aux prises avec des plaies ouvertes depuis plusieurs mois (ou même des années) lorsqu’ils ou elles sont venu.es la voir pour la première fois. Elle s’est donc mise à soupçonner que ces plaies qui ne guérissaient pas reflétaient un problème plus profond : la malnutrition.

Dre Cross et son équipe de recherche, dirigée par Dre Julie Perry, ont entrepris de dépister le risque de malnutrition des patient.es de la clinique en utilisant un questionnaire conçu et validé par le Groupe de travail canadien sur la malnutrition. Les résultats étaient surprenants : une personne sur quatre était exposée à un risque de malnutrition, et une personne diabétique sur deux ayant des plaies aux pieds était exposée à un risque nutritionnel. Ces résultats étaient de nature urgente, étant donné qu’il est crucial d’identifier les patient.es souffrant de malnutrition avant la chirurgie. En effet, cette condition peut entraîner des complications post-opératoires graves et aggraver les plaies qui ne guérissent pas.

 

Voir et comprendre la malnutrition

« La nutrition doit être vue comme une partie intégrante de la santé et son dépistage comme essentiel. Évaluer le taux de malnutrition devrait se faire automatiquement, comme prendre la tension artérielle. Vous savez quoi faire et il existe un système de soins pour réagir. »
— Dre Heather Keller, présidente, Groupe de travail canadien sur la malnutrition

Nous savons qu’une bonne nutrition et la consommation d’aliments sains sont favorables à la santé, au bon fonctionnement des organes et à la guérison. Cependant, nous n’évaluons pas systématiquement l’état nutritionnel des patient.es qui sont admis.es dans les hôpitaux canadiens. Pourtant, la malnutrition entraîne des complications médicales et chirurgicales, ainsi que d’autres effets néfastes sur la santé. Le taux de mortalité des patient.es souffrant de malnutrition 30 jours après l’hospitalisation est six fois plus élevé que celui des patient.es ayant un bon état nutritionnel. Selon une étude nationale réalisée par le Groupe de travail canadien sur la malnutrition, 20 à 45 % des personnes admises à l’hôpital souffrent de malnutrition. La même étude a aussi révélé des coûts d’hospitalisation considérablement plus importants pour ces patient.es, vu des séjours prolongés et des taux de réadmission plus élevés. Si tel est le cas, des expert.es se demandent pourquoi la malnutrition n’est pas considérée comme une crise nationale qui doit être prise au sérieux dans le domaine de la santé.

Une des raisons découle de la fausse idée qu’ont les gens au sujet de la malnutrition et de ce à quoi elle ressemble. Il est possible que des gens mal nourris ne se voient pas comme tels. Par exemple, souffrir d’embonpoint ou d’obésité est une forme de malnutrition. On parle de malnutrition lorsque le corps n’obtient pas la bonne quantité de vitamines et de nutriments pour assurer le fonctionnement adéquat des tissus et des organes. Il peut donc s’agir d’un manque ou d’un excès. Un grand nombre de gens pensent que la malnutrition est beaucoup plus présente dans les pays en développement, ou chez les enfants et les aînés.

 

Dépistage minimal de la malnutrition dans les hôpitaux canadiens 

« Nous avons montré aux hôpitaux qu’il est très simple de faire un dépistage. Cela ne retarde pas le processus d’admission, mais cela permet de réduire les coûts d’hospitalisation ainsi que les complications en cours de route. »
— Bridget Davidson, directrice, Groupe de travail canadien sur la malnutrition

La bonne nouvelle est que le Canada mène actuellement une recherche pour aborder la question de la malnutrition dans un contexte de soins actifs. Le Groupe de travail canadien sur la malnutrition conçoit des solutions permettant un dépistage précoce des enjeux nutritionnels chez les patient.es hospitalisé.es. Il propose également des mesures concrètes pour aborder le problème. Se concentrer sur les interventions dans les soins actifs représente une avenue puissante, puisque ce genre de soins est actuellement à l’origine de la plupart des coûts dans le système de santé canadien.

Le Groupe de travail canadien sur la malnutrition a créé et validé un outil simple et rapide pour dépister la malnutrition au moment de l’admission à l’hôpital. L’Outil canadien de dépistage nutritionnel comporte deux questions : 1) Au cours des six derniers mois, avez-vous perdu du poids sans avoir essayé de perdre ce poids? 2) Depuis une semaine, mangez-vous moins que d’habitude? Deux réponses affirmatives (oui) indiquent un risque nutritionnel. L’outil de dépistage peut être utilisé gratuitement et permet de se demander comment le système de la santé peut et devrait réagir.

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Un des plus gros obstacles est l’incertitude quant à la capacité des hôpitaux d’offrir un plan d’intervention aux personnes jugées à risque. Toutefois, des interventions simples, comme veiller à ne pas interrompre l’heure des repas et collaborer avec les services alimentaires pour proposer des aliments réconfortants, attrayants et culturellement appropriés, sont des façons de s’assurer que les patient.es se nourrissent bien. On trouve au Royaume‑Uni un protocole dans le cadre duquel les patient.es à risque se voient remettre des cabarets rouges, ces derniers servant d’indicateur visuel pour encourager le personnel infirmier et les nutritionnistes à aider les patient.es à lire les menus, faire des choix sains et recevoir un soutien physique au moment de manger. Procéder ainsi montre que l’hôpital est perçu comme un lieu d’intervention critique pour éduquer un auditoire captif sur les bienfaits d’une alimentation et d’un style de vie sains, et ce, avant que les gens ne retournent dans leur communauté.

Plus récemment, le Groupe de travail canadien sur la malnutrition a commencé à valider et mettre en place un « plan d’intervention nutritionnel » dans dix hôpitaux, dans le but d’en évaluer l’impact. Alors que sa première étude se concentrait sur l’impact et la prévalence de la malnutrition, la seconde se penche sur des solutions pratiques et réalisables à la portée des hôpitaux.

 

La malnutrition nous force à réfléchir au rôle de la communauté

« Nous savons que les aliments sont des médicaments et pourtant, des aliments sains ne sont ni prescrits par ordonnance ni couverts par l’assurance-maladie. Nous devons donc établir le rôle clé de l’alimentation dans la santé systémique des patients. »
— Dre Karen Cross

S’attaquer aux causes profondes de la malnutrition ne peut pas se limiter au milieu hospitalier. L’étape suivante consiste à créer des liens avec des approches communautaires pour comprendre la relation qui existe entre la malnutrition et certains déterminants sociaux en matière de santé : l’insécurité alimentaire, le manque d’éducation, des logements de mauvaise qualité et la pauvreté.

Mais grâce au dépistage dans les hôpitaux, le milieu de la santé ne peut plus ignorer la malnutrition ou la considérer comme un problème hypothétique. Des chiffres bien réels indiquent maintenant que jusqu’à 45 % des personnes admises à l’hôpital souffrent de malnutrition. Il existe de plus en plus de preuves, qui se traduisent en dollars, sur les effets néfastes de la malnutrition sur la santé et les coûts financiers en raison des séjours prolongés et des taux élevés de réadmission. Il est donc possible de convaincre ceux et celles qui élaborent et approuvent des politiques à l’aide d’un argument soutenu qu’investir dans l’alimentation dans le milieu de la santé, que ce soit en augmentant le soutien nutritionnel dans les hôpitaux ou en améliorant les services alimentaires, permettra de réaliser des économies considérables et d’obtenir de meilleurs résultats à long terme.